HILARIÓN BRUGAROLAS (1901-1996)
Sa vie, son oeuvre
Violeta Izquierdo
Universidad Complutense de Madrid
Contexte Historique et artistique
La vie et l’œuvre de Brugarolas coïncide avec une page importante de l’histoire politique et sociale de l’Espagne : la guerre civile et l’exil. La convulsion que représenta la Guerre Civile pour l’Espagne entraina l’exode d’une partie considérable de la Culture avec un grand C de notre pays. Les points de chute des artistes exilés furent principalement l’Amérique latine et la France. Paris devint une référence pour la majorité du collectif d’artistes espagnols en France, mais il convient toutefois de revendiquer l’existence d’un autre foyer artistique majeur dans le sud : Toulouse. Nombre de peintres et de sculpteurs qui animaient la culture locale et représentaient l’essence et le caractère de l’art espagnol depuis des décennies se concentrèrent dans la ville rose. Cette identité culturelle vécut ainsi une nouvelle impulsion en nouant des liens et des attaches avec la culture du pays d’accueil.
L’exil artistique en France et notamment le collectif d’artistes présentait dans l’adversité d’énormes différences en termes d’opportunités de formation et de reconnaissance, selon le choix de la ville d’exil, Paris ou Toulouse. Il est évident que l’environnement culturel et artistique des années quarante n’était pas identique à Paris et à Toulouse et du coup l’impact et la portée qu’ont eu les artistes ayant choisi Paris n’a rien de commun avec le dépassement de soi atteint par ceux qui s’installèrent à Toulouse. La reconnaissance de l’Ecole Espagnole de Paris est sans commune mesure avec celle de Toulouse, qui elle aussi aurait pu rassembler historiquement certains artistes sous l’épigraphe d’Ecole Espagnole de Toulouse, assurant à ses membres un rayonnement en Espagne, semblable à celui des premiers. Cette disparité commença à changer en 2002, grâce à l’exposition collective Artistes espagnols exilés à Toulouse [1], hommage qui se déroula dans l’ensemble conventuel des Jacobins et regroupa outre les artistes déjà mentionnés, Pierre Daura, Apel.les Fenosa, Antoni Clavell (père et fils), Francisco Bajén, Martine Vega, Antoni Clavé, Virgilio Vallmajó, Antoni Tàpies, Rosé Subirà-Puig, Arthur Saura et Concha Benedito, ouvrant sensiblement ce foyer d’art qu’était Toulouse à d’autres villes d’exil assez proches comme Bordeaux, Albi ou Marseille.
Dans le collectif d’artistes plasticiens espagnols résidant à Toulouse, il fallut d’emblée faire une différence explicite entre générations. Il existe un premier groupe d’artistes que l’on appelle Première Génération, formé par ceux qui sont nés à l’aube du XXe siècle et que la guerre a surpris à un âge où leur conscience politique était forgée et où, dans certains cas, s’affirmaient des débuts professionnels bien définis. La rupture avec leur pays, leur culture d’origine, leurs occupations, et la nécessité de satisfaire des besoins immédiats de subsistance les amenèrent à mettre une parenthèse, parfois sur plusieurs années, avant de pouvoir se retrouver de façon permanente dans la peinture ou la sculpture. Parmi les noms à retenir de cette première génération, citons les peintres, Hilarion Brugarolas, Manuel Camps-Vicens, Francesc Forcadell-Prat, Josep Suau, Pablo Salen, Josep Alejos, Call, Argüello, Zurita, Espanyol, Izquierdo-Carvajal, Medina et les sculpteurs, Antoni Alos, Joaquim Vicens-Gironella ou Mir Clavell.
Ceux de la Seconde Génération nés aussi en Espagne, bien que vingt ans plus tard, ont franchi la frontière encore enfants, et se forment professionnellement ou complètent leur formation dans le pays où se sont établis leurs parents après avoir quitté leur patrie. Plusieurs de ces artistes fréquenteront incidemment l’École des Beaux-Arts de Toulouse, où ils seront en contact avec de vieux professeurs (Bergougnan, Espinasse, Letaudy). Ils vont y acquérir des connaissances précises sur le plan technique et sur les divers aspects de la peinture, qu’ils ajouteront alors à leur apprentissage autodidacte. L’ambivalence culturelle de ces peintres supposa un enrichissement de leurs propositions et les situa à un niveau d’expression authentique, pleine de valeurs et de connotations. Cette génération d’artistes a réussi de son vivant à se faire une place dans le panorama culturel français. Certains sont parfois revenus en Espagne et ont retrouvé leurs racines en acquérant nom et reconnaissance dans certains cercles artistiques. Carlos Pradal, Juan Jordà, Rodolfo Fauria-Gort, Balbino Giner (fils), Antoni Clavell (fils), font partie des Espagnols exilés durant leur enfance qui ont comme dénominateur commun l’art, l’exil et Toulouse.
Brugarolas appartient à la Première Génération d’artistes espagnols exilés à Toulouse dont il est l’un des représentants majeurs. D’inspiration impressionniste, il affectionnait la peinture en plein air et préférait l’art figuratif comme langage esthétique le rafraichissant néanmoins au moyen d’une diction souple, d’une palette vive et colorée et d’un geste empâté et puissant. Une peinture agréable, décrivant les beautés naturelles et stimulant les sens. Une peinture expressive qui traduisait une vision personnelle, sensible, issue d’une introspection émotionnelle et psychique, autrement dit, un désir de créer et de maitriser la matière en s’appuyant sur une technique appropriée capable d’exprimer cette vision en images. Son habileté à intégrer tous ces critères fera de lui une référence reconnaissable au sein de ce collectif.
[1] L’exposition Artistes Espagnols Exilés à Toulouse présentée au Centre Culturel de Blagnac de Toulouse, avait pour commissaire Violeta Izquierdo, qui avait mené des recherches pendant 10 ans sur ce sujet. En 2010 cette exposition fut reprise au Musée des Jacobins de Toulouse. L’exposition était dirigée par la commissaire Monique Rey-Delqué, conservatrice de l’ensemble conventuel des Jacobins et directrice du Patrimoine Historique de la ville de Toulouse.
Barcelone – Le port
Barcelone – Las Ramblas
BIOGRAPHIE
Barcelone (1901-1919)
Hilarión Brugarolas Planas est né à Barcelone le 15 juin 1901. Son père Elisée Brugarolas tenait un bar-café dans la rue de la Travesera de Gracia, commerce qui permettait à la famille de vivre dans un certain confort matériel. Hilarión et son frère étudièrent au Collège Claret de Barcelone, rattaché à la Congrégation des Pères Missionnaires Fils du Cœur Immaculé de Marie. Non loin de chez lui, sur un terrain vague qui abrite de nos jours la Sagrada Familia de Barcelone, lui et ses camarades assistaient au travail du Maître Gaudí sur la cathédrale, et il se rendait souvent avec des jeunes de son âge dans l’atelier de l’artiste pour le voir construire l’église à base d’allumettes.
À 7 ans, sa mère (Antonia Planas) lui offrit une magnifique boîte de peintures à l’huile pour la fête de l’Épiphanie. Ce cadeau éveilla sa passion pour la peinture apparue dès son plus jeune âge sur les bancs de l’école. Parallèlement à ses études chez les Frères Clarétains il suivit pendant trois ans les cours de peinture à l’Ecole des Beaux Arts de Barcelone.
Il finit ses études secondaires à 18 ans et obtint son baccalauréat et son diplôme en Théologie, selon les désidérata de son père qui voulait qu’il devienne missionnaire de la Congrégation des frères Clarétains. Toutefois ses convictions personnelles et les aléas familiaux altérèrent sensiblement son destin. La situation économique familiale changea du tout au tout en raison du décret interdisant de jouer qui entraina une baisse d’activité du bar-café de son père. En janvier 1919, sa mère mourut des suites de sa santé fragile et son père ne lui survécut que de quelques mois cette même année. Hilarión et son frère devenaient orphelins à 18 et 16 ans. Ruinés et après avoir vendu les tables et les chaises du bar à un prix dérisoire, ils partirent pour Granollers chez une de leur tante du côté paternel.
Granollers (1919-1939)
Une fois chez ses oncles, Hilarión se mit à travailler comme serveur au restaurant familial « Casa Layón ». Dès que cette activité lui laissait du temps il peignait à la maison. En 1921, il fut appelé pour effectuer son service militaire à Burgos, mais compte tenu de ses problèmes d’audition à l’oreille gauche, il fut assigné au Département de Santé militaire. Il ne cessa jamais de dessiner et de brosser des caricatures, le commandant remarqua d’ailleurs son talent et lui acheta quelques tableaux.
Il revint à Granollers à 23 ans (1924) et continua à travailler au restaurant, sans négliger sa passion pour la peinture à laquelle il s’adonnait dès qu’il avait du temps libre. Il s’intéressait également à différentes activités culturelles de la ville, et collabora ardemment pour la survie du théâtre de Granollers dit « Talía », s’entourant d’amis comme José María de Sagarra Capdevila, Amador Garrel entre autres.
Granollers était à l’époque, une ville florissante qui entamait le XXe siècle en pleine croissance industrielle, d’où une atmosphère culturelle bouillonnante et moderne qui allait connaître son apogée en 1927 avec la Première Exposition d’Artistes Locaux, célébrée au Casino. Cette exposition visait à faire connaître la nouvelle génération de jeunes peintres paysagistes avec au premier plan, Vicent Albarranch [2]. Parmi les instigateurs hormis Albarranch, on retrouve : Hilarión Brugarolas, Francesc A. Planas Doria, P. Iglesias, le musicien J.Mª Ruera et le photographe J. Bosch. Le musée put ouvrir ses portes grâce aux donations de ces derniers et d’autres artistes adhérant à ce projet [3]. En 1932, sur proposition d’Albarranch alors Président Général de la sous-commission de Peinture, Sculpture et Dessins du Musée de Granollers, Brugarolas fut nommé Directeur Général. Tous ces peintres participèrent à ce premier mouvement pictural paysagiste de la ville.
La différence d’âge entre Albarranch et Brugarolas n’était que de trois ans pourtant aux yeux de Brugarolas, il fut toujours son maître et celui qui lui enseigna la peinture. Ils étaient tous deux attirés par les mêmes sujets et faisaient des excursions à la campagne où ils passaient des journées entières à peindre la nature. Chapeauté par son maître, Brugarolas progressa rapidement en matière de rendu et techniques. Il participa à de prestigieux salons de peinture. En dehors des expositions locales de Granollers (1930, 1931), il participa au Grand Salon Régional de Barcelone (1935), de Valencia (1936), et à l’Exposition Nationale de Madrid (1932, 1934, 1936). C’est au cours de l’Exposition Régionale de Valencia que le peintre Puig i Perucho s’intéressa à ses œuvres et l’encouragea à participer à l’Exposition Internationale de Buenos Aires (1935) et à l’Exposition de Pittsburg (USA).
La peinture d’Hilarión Brugarolas se résumait alors principalement aux paysages. Ceux du Vallés Oriental catalan (Comarque de Catalogne), pour la plupart effectués sur le motif et en plein air, fruits de l’observation directe et de son travail assidu aux côtés de son maître qui lui enseignait comment trouver le cadrage adéquat, combiner les couleurs, créer des perspectives, jouer avec la lumière, et saisir l’instant pour le reproduire à partir d’impressions perçues. Les caractéristiques qui définissaient la peinture d’Albarranch, à savoir un trait de pinceau franc et empâté, vif et spontané, l’intensité des couleurs, les paysages aux perspectives profondes et la luminosité se retrouvent également dans la peinture de son disciple. Brugarolas définit son style d’impressionnisme catalan dans cette première phase de formation artistique.
La Guerre Civile Espagnole (1936-1939)
La guerre d’Espagne mit fin à ce brillant début de carrière et comme d’autres artistes terrassés par les évènements, il dut faire face à des besoins bien plus immédiats que la peinture. Il ne renonça néanmoins jamais à cette vocation tout au long de son parcours et dès qu’il entrevit une possibilité de manier à nouveau ses pinceaux, il s’en empara.
Brugarolas rejoint le camp des républicains pendant la guerre civile. À l’instar d’autres habitants de la ville qui s’étaient rapproché de la CNT (Confédération Nationale du Travail), il participa activement au front de l’Ebre, et mena des missions de cartographe au sein de la deuxième brigade d’assaut. La défaite du camp républicain le contraint cependant à prendre, comme des milliers de personnes, le chemin de l’exil, unique alternative pour résister à l’ennemi.
Les Cabannes – Ariège
L’exil en France (1939-1955)
Une fois la guerre finie en février 1939, l’unité à laquelle Hilarión appartenait se replia en France où les blessés reçurent des premiers soins à La Tour de Carol. Son bataillon fut ensuite intégré au camp de concentration de Septfonds, près de Montauban. Ses conditions de vie loin de s’améliorer s’aggravèrent alors face au danger imminent de la Seconde Guerre mondiale.
Pendant l’occupation des troupes allemandes en France, Brugarolas s’enrôla dans la résistance sous les ordres du colonel Maury dans les maquis de Picaussel. Arrêté par la police allemande en tant que guérillero espagnol, il fut déporté et envoyé pour servir de main d’œuvre dans les Groupes de Travailleurs Etrangers, il fut là-bas aussi emprisonné dans un camp de concentration, d’où il s’évadera avec un camarade de façon exceptionnelle. Il rejoignit la France suite à de nombreuses péripéties.
À la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, il s’installa à Tarascon-sur-Ariège où il travailla comme peintre dans une usine, déménageant ensuite à Aston-sur-Ariège où il occupa un poste de cuisinier dans la centrale électrique. C’est à partir de Les Cabannes, ville où il résidait en 1947, qu’il obtint après de longues formalités administratives les papiers qui allaient permettre à son épouse et à sa fille qui vivaient encore en Espagne de le rejoindre en France. Après neuf années de séparation son deuxième enfant Elíseo verrait le jour.
Toulouse (1955)
Au bout de seize années d’exil, le couple Brugarolas prit la décision de déménager, attiré par les plus grandes opportunités qu’offrait alors Toulouse, capitale de la Haute Garonne. Il trouva rapidement du travail à l’usine Fournier en tant que récupérateur de pneumatiques. Cet emploi lui apporta une stabilité financière et lui laissa du temps pour rejoindre des associations de peintres amateurs qui périodiquement et ponctuellement faisaient des expositions dans le midi. Membre des Occitans Méridionaux dans un premier temps puis des Indépendants, il acquit au fil du temps un statut de chef de file.
Parallèlement à cette activité picturale croissante, sa maison se transforma en atelier-école improvisé où les élèves se rendaient pour se former et suivre les enseignements de ce peintre accompli et expérimenté. L’un de ses disciples, Rodolfo Fauria-Gort, exilé lui aussi de la guerre d’Espagne suivit ses cours pendant des années jusqu’à voler de ses propres ailes. Aux côtés de Fauria-Gort et Max Wallet, un groupe se constitua dénommé ORIÓN lequel réalisa de nombreuses expositions à travers la région.
C’est en 1961 qu’il exposa pour la première fois individuellement, jusqu’alors il ne s’était présenté au public qu’en tant que membre d’un collectif, toutefois les toiles qui furent présentées n’étaient pas assez nombreuses et ne reflétaient que partiellement les multiples facettes de son talent. C’est seulement dans le cadre de l’exposition de 1974 dans la Galerie L´Atelier de Toulouse, que furent réunies pour la première fois une sélection considérable de ses huiles et gouaches. L’ensemble, particulièrement éclectique, alternant marines, paysages, rues, taureaux, fleurs et nature mortes dévoila un artiste côtoyant des genres différents et animé par une recherche sans fin et une préoccupation technique.
Au cours des années soixante dix et quatre vingt Brugarolas intensifia sa production et le rythme d’expositions, jusqu’à participer régulièrement à plusieurs salons régionaux et nationaux en groupe. Il multiplia également les expositions individuelles et remporta à cette époque grand nombre de récompenses pour l’ensemble de son œuvre. Les décorations et les honneurs jalonnèrent son parcours artistique et son travail fut officiellement reconnu lors de divers hommages célébrés dans toute la région de Midi-Pyrénées.
[2]Vicent Albarranch Blasco (Elche, 1899-Alicante, 1940). En 1922 il s’installa à Granollers, il acquit un poste stable au Registre de la Propriété et épousa Isabel Planxart. En 1928 il se rendit à Paris pour découvrir la peinture impressionniste. Il s’intégra parfaitement au milieu artistique local et on peut dire que c’est à partir de son groupe d’amis qu’allait se développer le noyau artistique de Granollers. Des artistes comme le céramiste Antoni Cumella et le peintre et dessinateur Francesc Serra, ont contribué à la construction du microcosme artistique de Granollers.
[3]Le musée n’eut pas de siège officiel avant 1946, année de son inauguration, c’est actuellement un immeuble moderne qui l’abrite et qui a été construit à cette fin en 1974.
ŒUVRE PICTURALE
Hilarión BRUGAROLAS est un peintre qui se reconnaît au premier regard, à sa façon de disposer, poser la matière et remplir la surface. Il travaillait au couteau, instrument qu’il maniait avec talent et fermeté apportant à l’ensemble de son œuvre une touche et un style très personnel. Tous les thèmes qu’il a abordé en utilisant cette technique, paraissent a priori avoir été élaborés avec une fluidité extrême. L’exécution semble spontanée, parfois saccadée à base de traits dissemblables, courts ou allongés, fins ou épais, pourtant ils dissimulent une grande maitrise acquise au fil des années et une facture réfléchie et précise.
La maîtrise de la technique dans ses peintures épousait un sens inné de la couleur et de la lumière. Outre une pâte épaisse et franche qui frise la lumière et fait ressortir la couleur et ses ombres, il affectionna les tons vifs et la clarté du ciel. Il renonça aux excès et joua avec les ombres et les reflets de la lumière intense aux nuances infinies, rythmant énergiquement ses compositions et juxtaposant des couleurs qui s’opposent en tonalités distinctes, les diluant uniquement à certains endroits et obtenant ainsi un rendu de qualité efficace. Il excella dans l’art de transformer en sensation chromatique aussi bien un beau paysage que le voile subtil et nuancé recouvrant un vase de fleurs.
Sa peinture est étrangère aux modes, aux courants et aux écoles qui jalonnèrent sa longue vie, non par méconnaissance mais plutôt du fait de sa personnalité qui fait corps avec sa passion pour la peinture et déploie sa créativité en marge des mouvements artistiques qui surgirent au XXe siècle. Peintre sentimental parfois, il est attiré dans nombre de ces toiles par l’impressionnisme et la dilution des formes. La grandeur de sa peinture réside dans la suprématie de la couleur sur le dessin, devenant à elle seule un critère plastique et expressif indépendant. Son langage réaliste, à tendance impressionniste, est animé par une diction légère, par une palette vive bien qu’estompée qui sut condenser l’essence de la réalité et s’affranchir de détails trop précieux.
Brugarolas a tout au long de sa vie exploré les possibilités implicites de sujets divers. Il a apporté une touche personnelle à des thématiques aussi différentes que les paysages, les nus féminins, les natures mortes ou les bouquets de fleurs. Il ne présente pas de ligne évolutive distincte, émaillée de périodes précises, mais il livre un dialogue entre académisme et art expérimental, faisant écho aux sujets et aux lieux qu’il décrit. Toutefois, personnalité et matière picturale fonctionnent toujours à l’unisson et servent à réveiller les formes, les couleurs de tout ce qui peut insuffler de l’émotion à ses toiles. Les thèmes qu’il a abordé s’inscrivent dans la tradition académique et reflètent son amour pour la peinture classique, même si sa technique s’appuie résolument sur une matière abondante, et confère à ses compositions une grande sensualité, côtoyant ces genres classiques pour leur apporter une touche de fraîcheur et de modernité.
Les Paysages sont les représentations picturales les plus emblématiques de toute l’œuvre de Brugarolas. Il ne tenta pas de copier la réalité sur une toile, mais se confronta au contraire au paysage pour le redécouvrir, le recréer grâce à des traits de pinceaux s’écartant franchement du naturalisme et se rapprochant de l’impressionnisme et de la faculté à ressentir, à approfondir son sens ultime en jouant avec de vastes perspectives, et flirtant parfois avec une résolution empreinte de souffle poétique. Sa vision et son émotion dévoilent la clarté du regard et l’expression paisible d’un peintre animé par une réflexion intérieure plus que par le désir de reproduire. Il a renoncé à travers les paysages aux concepts naturalistes leur préférant une récréation spirituelle jubilatoire. Il affirmait que le peintre ne devait pas copier la nature mais plutôt la comprendre et la recréer dans chaque tableau, sous la dictée des émotions et en maîtrisant la technique.
Choisir intelligemment le thème adéquat, le cadrage, le point de vue venait s’ajouter à d’autres critères tels que la lumière, la perspective, la couleur et les volumes. La richesse des empâtements, l’élaboration interne du coloris s‘accompagnaient parfois d’une exaltation de la lumière du soleil qui modulait couleur et formes.
Brugarolas fut fasciné par la peinture en plein air et se rendait avec son matériel sous le bras en bord de mer ou au pied des montagnes pour dénicher des lieux pittoresques. Son travail témoigne ainsi de sa préoccupation pour le spectacle qu’offre la nature. Le paysage devient ainsi objet et sujet de la peinture, à elle seule authentique matière. Ses paysages livrent une interprétation de la réalité qui passe par le filtre d’un regard attachant et sensible, soucieux de toujours refléter simultanément la grandeur et le silence de la nature ainsi que l’humanité sans voix de ses habitants. Sa vision est solaire et semble surprise face au spectacle de la vie, apportant sans cesse une touche de compréhension, de tendresse et même de complicité à ses personnages. Ce compromis renferme un certain penchant pour l’illusion magique, mais aussi un lyrisme subtil et contenu ne nécessitant aucune présence humaine.
Il existe aussi des paysages arides sous un ciel orageux, empreints d’une atmosphère fantaisiste, d’une intensité expressive radicalement opposée à l’impression paisible que dégagent certains paysages calmes et romantiques aux tons verts et aux oliviers sauvages.
Amoureux du soleil et du ciel bleu du sud de la France, Brugarolas passa de longues périodes en Camargue, qu’il peignit dans nombre de ses toiles : taureaux, chevaux, hommes et paysages de cette charmante région furent croqués par ses pinceaux et recréés dans une symphonie de lumière et de couleur loin de l’imagerie folklorique habituelle. Les taureaux semblent briller et surgir d’une espèce de brume noyant la terre marécageuse, il utilise des nuances de blanc franc pour donner une sensation continue de limpidité, clarté et fraîcheur. Les oliviers et les amandiers en fleurs ainsi que les vignobles ciselés dégagent dans leur exubérance les bienfaits du soleil qui brille sur le bassin méditerranéen.
Les sublimes marines font partie de ses plus beaux paysages, instantanés de la mer, fracas des vagues contre les rochers à l’aube, miroitements de la mer au coucher de soleil étincelant. Il s’abandonne alors à un certain naturalisme avec justesse et habileté, donne du mouvement à sa composition et combine dramatiquement la couleur (verts obscurs, violets et ocres), et les variations de lumière sur les flots marins. Plages et roches, dunes à l’infini peuplent le monde imaginaire simple et tangible de l’artiste qui égaye parfois ces marines d’une petite barque échouée sur une plage ou d’une maisonnette habitée de souvenirs. La mer a été un motif récurrent dans son œuvre. Ses différents états et mouvements furent analysés par le peintre suscitant chez lui un intérêt qui allait au delà de la simple représentation et traduisait une relation plus intime. Une filiation qu’il assumait, parfois dans la distance, conscient des instants partagés.
La thématique des camps de concentration ne fut pas souvent abordée mais quand il l’entreprit, Brugarolas se livra à une réflexion sur la fragilité de l’être humain, sur l’existence tragique des déportés dépouillés de leurs racines et de leurs familles, dominés par l’angoisse, la peur, le pessimisme et la mélancolie. Les silhouettes des personnages qui constituent cette impressionnante série d’œuvres font écho à son séjour dans les camps de concentration nazis, ils nous regardent froidement anéantis dans leurs corps squelettiques. Ces hommes et ces femmes aux yeux exorbités sont pétrifiés par un dramatisme bouleversant. La lumière vient de l’intérieur et effleure les motifs, il n’y a pas de brutalité mais plutôt une caresse de clarté qui libère une émotivité immatérielle et mystérieuse, ombres et reflets appartenant à un passé lointain mais encore vivant dans la mémoire de l’artiste. Il nous jette en plein visage, un soupçon de remords d’histoires oubliées, ravivant de tragiques émotions, entre réalisme pathétique et expressionisme pictural.
Capter la réalité de près pour se rapprocher de la composition fut son propos en peignant des Natures mortes et des Fleurs.
Des natures mortes assemblées avec la rigueur cézannienne dans une disposition chromatique rappelant les fauves, ornées de pommes, raisins, poires ou grenades dans des saladiers à côté de bouteilles ou de verres, avec parfois en toile de fond des pans de tissu zurbaranesque. La vitalité lyrique de ces assortiments de fruits et d’objets, apparemment posés là par hasard l’incite à examiner les différents composants de ce microcosme comme si le secret de leur harmonie résidait dans leur énumération.
Les fleurs appartiennent à deux catégories, celles qui arborent franchement un naturalisme excessif et celles qui évoquent l’impressionnisme, misant sur l’intensité de la facture plutôt que sur une simple copie de la réalité. Riches en matière et en tonalité ces dernières révèlent la veine coloriste de l’artiste et suggèrent la vigueur du style de Van Gogh. Des bouquets de lilas, mimosas, marguerites, lys, un ou deux dahlias, des tiges aux couleurs tendres, aux pétales cernés et quasiment diffus dans leur envolée vers la lumière, semblables à de petites torches qui inondent l’atmosphère ambiante d’une vive clarté. Des fleurs taillées et groupées en bouquets délicats qui sont, dans leur composition des œuvres d’art de la nature domestiquée, empreintes d’une touche lyrique irréfutable.
Jamais fermé aux suggestions, Brugarolas s’enrichit de références thématiques pour peindre et aborde des genres et des sujets variés qui lui permirent d’appréhender différents styles d’interprétation. Les nus féminins aux formes généreuses, voluptueuses, dessinées d’un trait précis, sont un refuge de la chair pimenté d’une certaine malice. Son effusion de couleurs un peu éteintes est rehaussée par un fond qui scintille. La beauté de ces représentations réside dans les raccourcis adoptés par le modèle, pas toujours évidents à retranscrire plastiquement. La tauromachie source inépuisable de richesse symbolique, de mystère et dramatisme, fut abordée par le peintre dans le but de poursuivre ses recherches sur la création. La gamme chromatique utilisée dans ses œuvres (les rouges et noirs) renvoie à cette iconographie. La corrida, la fête, l’attitude de l’homme et du taureau dans l’arène, sont marqués par le sentiment et la tonalité de la tragédie.
Pour contempler la majeure partie de l’œuvre de cet artiste, il suffit de s’abandonner modestement aux sensations émanant de la beauté extérieure. Brugarolas n’a jamais prétendu, sauf à de rares exceptions, transmettre des messages idéologiques, il était plutôt mû par son intuition, par le plaisir jubilatoire de la contemplation, par l’amour de la couleur et des expériences visuelles. Soulignons parmi ses qualités, son noble acharnement à bien faire, à atteindre la perfection technique lui permettant d’idéaliser l’essence des êtres humains et des objets si souvent présents sur ses toiles. Il en découle une maturité indéniable en termes de créativité et une œuvre dense et cohérente tout au long de son parcours artistique.